Un double-mouvement. Une double-vie. Triple ou quadruple, peut-être même. Et puis la résolution des forces parfois contraires, la coalition des vents. Un nom d’abord. Anne-Marie devient « Année » des suites de prononciations approximatives d’une grand-mère polonaise et d’un très jeune filleul. Elle a alors douze ans. « Quinze », ensuite. Car à quinze ans, Année, les cheveux rouges, écrit son premier recueil de poèmes : « Année 15 en feu ». Un itinéraire déjà décrypté. Un destin consenti.
Outre les mots et leur agencement, il y a le goût du dessin et de la peinture. Le sacerdoce d’une autodidacte. Il y a les déracinements aussi. La vie en Afrique du Nord, en Italie, en Suisse, à Paris et dans les provinces françaises. Il y a l’envie de vivre partout. Malgré la tourmente.
Il y a aussi, pour structurer l’errance, la découverte du Taoïsme. A une période de sa vie, encore adolescente, elle vit en pleine garrigue française, un cavalier cherchant asile, après avoir traversé l’Europe sur sa monture depuis les Pays-Bas. Possède « Le Yi Jing ». C’est le livre des transformations.
Des arts divinatoires. Année Quinze ne quittera jamais ce livre de sa vie entière. Un allié précieux pour affronter l’existence.
Un double-mouvement. Une double-vie. L’art occidental d’un côté. La peinture, les performances. La vidéo. La recherche de sens inédits une fois les images vidées de leur sens commun. La quête animale des corps. Des désirs. La greffe de toutes les disciplines. L’explosion des expressions. L’agencement nouveau des confettis. Il y a les expositions, les galeries, les courts-métrages.
Et puis, donc, Il y a, de l’autre côté, la recherche de l’harmonie entre ciel et terre. L’esprit apaisé. Le corps fortifié. La transformation du corps et de l’esprit en un être unifié. Il y a le Tao. Son enseignement et la transmission de ses secrets.
Année Quinze « peint » aux pigments ou à la palette graphique. Selon le résultat qu’elle envisage. Elle propose des séries. Les tableaux se répondent et se complètent. Quelque chose dérange dans ses œuvres picturales : comme s’il s’agissait d’une vieille religion redécouverte sous un tas de sable.
Comme des vitraux d’église ou des cartes de tarot dont les scènes évoquées nous seraient inconnues. Le paganisme oublié d’un inconscient collectif. La vérité d’un autre temps, ou d’un ailleurs. En accompagnement d’une série, Année Quinze écrit : « Tous les personnages de ma toile se sont
échappés. Il y en a un ici et un autre par là. Un sur la table qui gigote, un autre au sol qui rigole. Comment les ramener ? Je ne le peux pas, je ne le veux pas. Qu’ils aillent au diable, et moi avec ! Serait-ce enfin la liberté retrouvée ? »
Année Quinze joue des codes, mélange les genres, fouille les mémoires et éructe telle une pythie ses visions. De la poésie, de l’indicible, du souterrain.
Rodolphe Haener, journaliste culturel.